Qu’est-ce qui t’a amenée à pratiquer le chant lyrique ?
C’est une passion que j’ai eue très jeune. J’ai peut-être été un peu formatée par le milieu familial, mes parents me faisaient écouter de la musique classique, ma grand-mère était violoncelliste professionnelle, pianiste et chanteuse… À 13 ou 14 ans, on m’a emmenée voir mon premier opéra et je me suis prise de passion pour cet art.
J’ai commencé à étudier le chant dans des conservatoires à 17 ans, j’y ai suivi un cursus complet qui a débouché sur un Diplôme d'études musicales professionnalisant au conservatoire supérieur (CRR) de Paris. J’avais appris la flûte traversière auparavant, j’avais donc déjà des notions de solfège.
Comment en vient-on à chanter dans des groupes professionnels ?
J’avais commencé à m’intéresser au répertoire baroque (musiques du XVIIème-XVIIIème siècle) pendant mes études en conservatoire et avec un premier ensemble, Le Concert Latin, avec lequel nous avons monté de nombreux concerts et même deux opéras, Le Devin de village de J.-J. Rousseau et Le Huron de Grétry. Cela m’a permis d’acquérir déjà une expérience de la scène et du concert.
En 2010, j’ai été sélectionnée pour participer à une Master Class, ou « classe de maître », animée à Paris par le chef d’orchestre hollandais Ton Koopman, spécialiste mondial de Jean-Sébastien Bach. Sous sa direction, nous avons monté en 2 jours une cantate et des motets à 8 voix, présentés ensuite en concert public à Paris devant 800 personnes. J’avais été retenue pour chanter dans le chœur mais aussi pour tenir la partie de soprano solo (la voix la plus aiguë) : c’était très impressionnant.
À l’issue du concert, des chefs d’orchestre sont venus me solliciter pour travailler avec eux ; Jean Sourisse, par exemple, m’a proposé de chanter la partie de soprano solo dans plusieurs concerts de son ensemble, le Chœur d’oratorio de Paris – sur des programmes allant du baroque (Charpentier, Carissimi, Monteverdi) au romantique (Fauré, Gounod) voire à des œuvres plus modernes (Rutter, Vaughan Williams).
En parallèle, Ton Koopman, le chef de la Master Class, m’a invitée à rejoindre son ensemble basé en Hollande, l’« Amsterdam Baroque Orchestra & Choir ». Ce groupe, complètement professionnel, est internationalement reconnu pour ses interprétations en concert et au disque du répertoire baroque. Avec eux j’ai participé à de très nombreux concerts, tournées et festivals depuis dix ans, dans le monde entier, ainsi qu’à un enregistrement (Jesu membra nostri de Buxtehude). J‘ai pu ainsi prendre part à des concerts dans des salles prestigieuses, réputées pour leur acoustique (Concertgebouw d’Amsterdam, Konzertverein de Vienne, Cité interdite de Pékin, Salle Pleyel & Théâtre des Champs-Elysées à Paris…). Je fais partie du chœur, où nous ne sommes que 18 à 20 chanteurs, 4 ou 5 par voix ; chacun a donc une responsabilité importante !
Les publics réagissent-ils différemment selon les pays ?
Oui ! Je pense à la Chine où la culture musicale est très différente de la nôtre. Les Chinois ne connaissaient pas toujours bien la musique classique occidentale, mais ils étaient vraiment très heureux de venir écouter Bach ou Haydn. Le programme indiquait par exemple aux spectateurs comment se comporter pendant le concert, à quel moment on pouvait se lever pour aller chercher des boissons, quand il fallait applaudir… Il y avait un réel intérêt réciproque entre les deux cultures. À la fin du concert, les spectateurs demandaient des autographes, non seulement au chef d’orchestre, mais même aux musiciens du fin fond de l’orchestre ! C’était vraiment très touchant. D’autant plus qu’avant ce concert, nous avons commis un impair avec plusieurs collègues musiciens. Le déjeuner a pris plus de temps que prévu (avec la difficulté à se faire comprendre, à régler l’addition un par un…) et nous avons immédiatement averti le chef d’orchestre que nous aurions un peu de retard à la répétition. Lorsque nous sommes arrivés, très gênés, les organisateurs chinois fous de colère ont exigé que nous nous excusions publiquement devant l’orchestre, qui était chinois. Le chef, déjà informé, nous a excusés d’emblée, pour vite se remettre au travail. Nous avons appris plus tard qu’en Chine, les musiciens doivent payer une amende de 150 euros pour chaque minute de retard. Nous en avions presque 20…
Qu’aimes-tu le plus dans le chant lyrique ?
Son immédiateté, sa spontanéité, son naturel : on est soi-même l’instrument de musique… pour le meilleur et pour le pire ! Pour moi qui ai débuté par l’apprentissage d’un instrument, je voyais parfois celui-ci comme un obstacle entre moi et la musique, à cause des difficultés techniques. Elles existent aussi dans le chant, mais sont différentes !
Le revers de la médaille, c’est que quand on tombe malade, qu’on est fatigué, la voix l’est aussi. Il faut donc apprendre à chanter même quand on est enrhumé, ou qu’on n’a dormi que deux heures par nuit. Or les contraintes d’un ensemble professionnel sont très fortes : on voyage tous les jours, pour présenter un concert chaque soir dans une ville, et bien souvent un pays, différents. On prend l’avion ou le train le matin, on répète l’après-midi en ayant à peine le temps de déposer sa valise à l’hôtel et de manger, et le soir même on chante en concert : on ne se couche que vers 1 heure du matin, pour se lever parfois à 5h le lendemain et reprendre un autre avion !
Et cela, c’est si tout va bien : inévitablement des grains de sable viennent gripper la machine et c’est alors à nos merveilleux « tour managers » d‘inventer des solutions miracle pour résoudre dans l’urgence les problèmes qui peuvent survenir – des bagages qui se perdent en route, laissant des musiciens sans partition ni tenue de concert ; des retards d’avion ou de train, qui un jour nous ont fait arriver dans la salle de concert… bien après le public, et sans avoir pu répéter, ni manger depuis le matin même ; une compagnie aérienne qui pratique le surbooking et refuse d’embarquer 8 musiciens solistes alors que le concert a lieu le soir même à Budapest ; un TGV qui repart alors que plusieurs musiciens n’ont pas eu le temps d’en descendre, et qu’il faut les récupérer avant la prochaine gare, à 300km de là ; un passeport volé qui bloque un musicien à la frontière… mais the show must go on : quoi qu’il puisse arriver, le concert doit avoir lieu !
Tu es enseignante, référente de la mission Arts et Culture, chanteuse lyrique… Comment parviens-tu à concilier toutes tes activités ?
Je dois avouer que depuis que j’ai pris la mission, et avec la crise sanitaire, mon activité musicale s’est ralentie. Sinon les concerts ont souvent lieu sur des périodes courtes et sont prévus 8 mois à l’avance, ce qui laisse le temps de s’organiser. Je privilégie aussi les projets programmés lors de périodes de vacances universitaires – l’été, lors de festivals, ou lors des congés. Le répertoire de Bach étant une musique religieuse, il est souvent programmé à l’occasion des fêtes de Noël ou de Pâques, ce qui facilite la combinaison de mes deux – voire trois ! – activités !
Découvrez des petits extraits de concert
- https://www.youtube.com/watch?v=TMhhHtc_K4Y
- https://www.youtube.com/watch?v=mpo7zeEp5Fw
- https://www.youtube.com/watch?v=WreZFn-aqew
Portrait chinois
Si tu étais une musique ? La messe en si de Bach
Si tu étais une salle de concert ou d’opéra ? Le théâtre des Champs-Elysées
Si tu étais une qualité ? la persévérance
Si tu étais un roman ? Sarrasine de Balzac
Si tu étais un instrument de musique ? Une harpe
Si tu étais un personnage (roman, théâtre, opéra, cinéma) ? La Castafiore de Tintin !